• ABOUT
  • PRINT
  • PRAISE
  • SUBSCRIBE
  • OPENINGS
  • SUBMISSIONS
  • CONTACT
The Missing Slate - For the discerning reader
  • HOME
  • Magazine
  • In This Issue
  • Literature
    • Billy Luck
      Billy Luck
    • To the Depths
      To the Depths
    • Dearly Departed
      Dearly Departed
    • Fiction
    • Poetry
  • Arts AND Culture
    • Tramontane
      Tramontane
    • Blade Runner 2049
      Blade Runner 2049
    • Loving Vincent
      Loving Vincent
    • The Critics
      • FILM
      • BOOKS
      • TELEVISION
    • SPOTLIGHT
    • SPECIAL FEATURES
  • ESSAYS
    • A SHEvolution is Coming in Saudi Arabia
      A SHEvolution is Coming in Saudi Arabia
    • Paxi: A New Business Empowering Women in Pakistan
      Paxi: A New Business Empowering Women in Pakistan
    • Nature and Self
      Nature and Self
    • ARTICLES
    • COMMENTARY
    • Narrative Nonfiction
  • CONTESTS
    • Pushcart Prize 2017 Nominations
      Pushcart Prize 2017 Nominations
    • Pushcart Prize 2016 Nominations
      Pushcart Prize 2016 Nominations
    • Pushcart Prize 2015 Nominations
      Pushcart Prize 2015 Nominations
    • PUSHCART 2013
    • PUSHCART 2014
Fiction, LiteratureDecember 9, 2016

J’irai

« J’irai à Kébémer embrasser ma mère. » Ma mère ? Laquelle ? Parce que je ne l’ai pas encore dit, mais j’ai deux mères et trois pères. Je sais, ça fait beaucoup pour une seule personne. C’est en tout cas ce que m’a révélé la boite à pandore une fois que je l’eus ouverte. La famille africaine a beau être large, celle-ci est tout de même exceptionnelle.

Jusqu’à peu, ma mère avait toujours été Yaay Khady, celle que j’ai toujours connue. Celle qui a couvert d’amour et d’attention bienveillante la gaie fratrie que nous formions mes frères, ma soeur et moi. Je n’étais ni l’aînée, ni la dernière mais paradoxalement la préférée, celle à qui on passait tous les caprices.

 

Quand Yaay Khady m’estima assez forte pour savoir, elle se libéra du lourd poids du mensonge brisant la conspiration du silence que tous avaient respectée autour d’elle : j’étais sa seule fille qu’elle n’avait pas mis au monde. Je me souviendrai toujours de la solennité de ce moment, un certain soir, sous la véranda de notre maison désertée. Elle me tenait les mains et pleurait sans pouvoir s’arrêter. Entre deux sanglots, elle rajusta son voile et se mit à me raconter ma vie depuis le jour de ma naissance. Enfin, il serait plus juste de dire, le jour de ma découverte…

C’était sur la plage de Yoff. Des adolescents matinaux s’entraînaient à la lutte lorsque le pied de l’un buta sur un amas chiffonné à moitié enseveli par le sable. Attirés par les feulements rauques, ils ont d’abord cru à une portée de chatons jetée par une ménagère courroucée. Mais, à y regarder de plus près…

 

Yaay Khady prit peur lorsque le groupe d’adolescents surexcités tambourina à sa porte. Elle acheva sa prière de Fadj[13] par le salut rituel et vola littéralement vers la porte pour ouvrir aux gamins. Leurs paroles étaient décousues, leurs yeux affolés, mais tous pointaient du doigt vers la mer. Leuk Daour[14] avait il fait une nouvelle victime ? Sans chercher à comprendre davantage ces paroles incompréhensibles, elle enfila ses sandales, s’agrippa un peu plus fort à son chapelet et courut vers la plage, dans la direction que prenaient ses guides d’un genre si particulier.

« J’irai à Kébémer embrasser ma mère. » Ma mère ? Laquelle ? Parce que je ne l’ai pas encore dit, mais j’ai deux mères et trois pères. Je sais, ça fait beaucoup pour une seule personne.

Yaay Khady avait invoqué Dieu et tous ses prophètes quand on lui avait tendu un paquet de langes frétillant. Elle avait imploré la protection divine contre les shaytané rajim[15] quand elle constata que j’étais encore baignée de liquide amniotique. Elle avait souri à travers ses larmes devant ce miracle de Dieu qui, comme pour Moïse trois millénaires plus tôt, avait épargné cette petite vie de la montée de la marée matinale, de l’appétit vorace des chiens errants, du froid et de la faim.

 

Voilà que j’étais adulte à présent. J’avais droit à la vérité, ce qui ne changeait rien à son amour pour moi. Mieux, à mes yeux, ces aveux étaient une preuve d’amour supplémentaire. Parce que ni elle, ni Tidiane, mon père avait fait de différence entre ses enfants utérins et moi, je me sentais leur fille au même titre que les précédents et suivants.

 

Je ne m’attendais cependant pas à ces révélations. J’accusais le coup. Plutôt bien au début. Puis, peu à peu, je commençais à éprouver un sentiment d’incomplétude. Je me mis en tête de connaître celle que je ne pouvais nommer maman : ma génitrice. J’avais du mal à l’appeler autrement que Oumou. Comble d’ironie, Oumou veut dire maman en arabe…. Pour moi, elle restera toujours quelques éclats de voix tapis dans mes tympans. Ceux qu’elle poussa lorsque je me présentai à elle quelques mois plus tard, remontant le fil d’Ariane du labyrinthe de ma vie. Des cris de surprise, des pleurs de remords et de honte aussi sans doute, des supplications inspirés par la peur d’être percée à jour par tous et surtout par Badara, son mari. Plus que le vernis parfait de la nouvelle vie qu’elle arborait, maintenant qu’elle vivait en parfaite bourgeoise, assise sur une montagne de biens et de certitudes, elle craignait comme au premier jour que son émigré de mari apprenne qu’elle avait « fauté » comme on dit chez nous, et que l’on sache que son pêché de jeunesse était de chair et d’os. Elle savait que l’enfant avait vécu. Elle aurait pu lui ôter la vie comme d’autres désespérées l’auraient fait mais le peu d’instinct maternel qui lui restait lui inspira de déposer l’encombrant paquet sur la plage de Yoff et de se réfugier derrière le bosquet jusqu’à s’assurer qu’il fût découvert sain et sauf. Elle avait alors pleuré toutes les larmes de son corps et était retournée le ventre vide attendre Badara, son jekeru bataaxal[16], qu’en trois ans, elle n’avait vu qu’en photo.

 

Oumou se présenta quelques années plus tard à Yaay Khady. Pour taire ses démons et retrouver le sommeil. Elle avait mûri, regrettait son geste et remerciait ma mère pour son geste noble. Yaay Khady prit peur. Peur que cette petite fille si attachante, si enjouée lui fut retirée. Peur que la vérité arrivât à mes oreilles d’enfants. Elle eut un geste d’auto protection en la congédiant sans ménagement. Quand elle comprit plus tard que l’intention de Oumou n’était pas de me reprendre, elle fit chemin vers elle pour lui permettre enfin de faire taire sa conscience. Ma mère et sa grandeur d’âme…

 

Le roulement du train accompagne mes pensées. Son effet hypnotique fait dodeliner les têtes. Dans ce wagon à moitié assoupi, ma vie défile à la vitesse de l’Express : au ralenti. Je prends une longue inspiration libérant mes poumons, laissant l’air se déployer dans les moindres replis de ma poitrine. Puis une lente, très lente expiration. Tout l’air chargé d’angoisse, de doutes et de peurs devait quitter mon corps pour épurer mon organisme. Arrivée au taquet, je restai en apnée jusqu’à l’étourdissement. M’étourdir pour ne plus penser… L’évocation de cette partie récente de ma vie m’est toujours douloureuse. Douloureuse parce qu’incertaine.

 

Nous laissons derrière nous Kébémer et son haras. Ces chevaux qui trottent libres alors que la comptine galope toujours dans ma tête comme dans un carrousel maudit.


[13] Prière du matin

[14] Génie des eaux de Dakar

[15] Satan et ses suppôts

[16] Epouse dont on fait la connaissance par échange épistolaire

Continue Reading

← 1 2 3 4 5 View All →

Tags

fictionFrenchMark WyattNafissatou Dia

Share on

  • Facebook
  • Twitter
  • Pinterest
  • Google +
  • LinkedIn
  • Email
Previous articleWhite Flesh, Yellow Dust
Next articleI Will Go

You may also like

Billy Luck

To the Depths

Dearly Departed

Ad

In the Magazine

A Word from the Editor

Don’t cry like a girl. Be a (wo)man.

Why holding up the women in our lives can help build a nation, in place of tearing it down.

Literature

This House is an African House

"This house is an African house./ This your body is an African woman’s body..." By Kadija Sesay.

Literature

Shoots

"Sapling legs bend smoothly, power foot in place,/ her back, parallel to solid ground,/ makes her torso a table of support..." By Kadija Sesay.

Literature

A Dry Season Doctor in West Africa

"She presses her toes together. I will never marry, she says. Jamais dans cette vie! Where can I find a man like you?" By...

In the Issue

Property of a Sorceress

"She died under mango trees, under kola nut/ and avocado trees, her nose pressed to their roots,/ her hands buried in dead leaves, her...

Literature

What Took Us to War

"What took us to war has again begun,/ and what took us to war/ has opened its wide mouth/ again to confuse us." By...

Literature

Sometimes, I Close My Eyes

"sometimes, this is the way of the world,/ the simple, ordinary world, where things are/ sometimes too ordinary to matter. Sometimes,/ I close my...

Literature

Quarter to War

"The footfalls fading from the streets/ The trees departing from the avenues/ The sweat evaporating from the skin..." By Jumoke Verissimo.

Literature

Transgendered

"Lagos is a chronicle of liquid geographies/ Swimming on every tongue..." By Jumoke Verissimo.

Fiction

Sketches of my Mother

"The mother of my memories was elegant. She would not step out of the house without her trademark red lipstick and perfect hair. She...

Fiction

The Way of Meat

"Every day—any day—any one of us could be picked out for any reason, and we would be... We’d part like hair, pushing into the...

Fiction

Between Two Worlds

"Ursula spotted the three black students immediately. Everyone did. They could not be missed because they kept to themselves and apart from the rest...."...

Essays

Talking Gender

"In fact it is often through the uninformed use of such words that language becomes a tool in perpetuating sexism and violence against women...

Essays

Unmasking Female Circumcision

"Though the origins of the practice are unknown, many medical historians believe that FGM dates back to at least 2,000 years." Gimel Samera looks...

Essays

Not Just A Phase

"...in the workplace, a person can practically be forced out of their job by discrimination, taking numerous days off for fear of their physical...

Essays

The Birth of Bigotry

"The psychology of prejudice demands that we are each our own moral police". Maria Amir on the roots of bigotry and intolerance.

Fiction

The Score

"The person on the floor was unmistakeably dead. It looked like a woman; she couldn’t be sure yet..." By Hawa Jande Golakai.

More Stories

Remembering A Woman I Didn’t Know, Fighting A War I Don’t Believe In

In memory of Sabeen Mahmud.

Back to top
One last love letter...

April 24, 2021

It has taken us some time and patience to come to this decision. TMS would not have seen the success that it did without our readers and the tireless team that ran the magazine for the better part of eight years.

But… all good things must come to an end, especially when we look at the ever-expanding art and literary landscape in Pakistan, the country of the magazine’s birth.

We are amazed and proud of what the next generation of creators are working with, the themes they are featuring, and their inclusivity in the diversity of voices they are publishing. When TMS began, this was the world we envisioned…

Though the magazine has closed and our submissions shuttered, this website will remain open for the foreseeable future as an archive of the great work we published and the astounding collection of diverse voices we were privileged to feature.

If, however, someone is interested in picking up the baton, please email Maryam Piracha, the editor, at [email protected].

Farewell, fam! It’s been quite a ride.

Read previous post:
White Flesh, Yellow Dust

"Now there is just stillness,/ a silence not quiet, but alive/ inside the muted grace of winter light." Poem of...

Close